Jurisprudences, traités, chartes… La legaltech parisienne propose gratuitement une base de données de 43 000 documents centrés sur l’arbitrage international. Une mine d’or pour les avocats.
Fondée en 2019 à Paris, la legaltech Jus Mundi annonce avoir conclu début septembre une seconde levée de fonds. A hauteur de 8,5 millions d’euros, l’opération est menée par C4 Ventures. L’ensemble des acteurs qui avaient participé en avril dernier au premier tour de table, à hauteur de 1 million d’euros, remet au pot, parmi lesquels Holnest, INSEAD BA, Seed4Soft ou encore Elkstone. Ils sont rejoints pour l’occasion par la Financière Saint James et le fonds américain FJLabs.
Jus Mundi articule son offre autour d’une base de 43 000 documents centrée sur le droit d’arbitrage international. Elle couvre jurisprudence, accords, traités… Le tout accessible gratuitement. A cela s’ajoute une panoplie de services payants de gestion des connaissances à base d’IA. Au programme : l’accès à plus de 20 filtres pour combiner les critères de recherche (par type d’affaires, secteur, siège de l’arbitrage…) ou encore des liens croisés entre contenus en fonction des références juridiques mentionnées, y compris dans d’autres langues.
“Notre environnement de natural language processing (NLP, ndlr) permet à un avocat de gagner jusqu’à cinq heures de travail par affaire d’arbitrage”, assure Thomas Latterner, CTO et cofondateur de la start-up. En coulisses, l’équipe technique de Jus Mundi s’adosse à la librairie logicielle open source PyTorch créée par Facebook pour bâtir ses réseaux de neurones artificielles. Au sein des bibliothèques de NLP de la galaxie PyTorch, elle fait notamment appel à la technologie spaCy qui est conçue pour traiter des textes dans 64 langues.
Cartographier la jurisprudence
En amont, les contenus juridiques sont récupérés auprès d’institutions partenaires, au premier rang desquelles la Chambre de commerce internationale (CCI) et l’International bar association (IBA). Des bases de données juridiques publiées en open data sont également scrapées. Ensuite, les modèles de NLP entrent en action pour détecter les concepts juridiques clés. Des “entités nommées” qui alimentent ensuite la recherche par filtres et tissent la cartographie des références entre documents (ce que Jus Mundi appelle son CiteMap). L’édifice s’adosse au moteur d’indexation open source Elasticsearch.
“L’enjeu est de distinguer parmi des centaines de paragraphes ceux relatifs au raisonnement du tribunal”
“Nous sommes en train d’intégrer la détection automatique des types de paragraphe à nos modèles de deep learning“, confie Benjamin Clavié, lead NLP chez Jus Mundi. “L’enjeu est de distinguer au sein des documents de décision d’arbitrage les paragraphes relatifs au raisonnement du tribunal de ceux liés à l’historique de la procédure, à l’explication des partis, et autres. Sachant que ces documents peuvent compter jusqu’à 200 pages et entre 600 et 1 000 paragraphes, le gain de temps sera considérable pour les juristes.”
Autre projet de R&D en cours, toujours autour du NLP : un réseau de neurones visant à anonymiser la base de données tout en préservant la cohérence du texte. “Il permet d’identifier les noms personnes, quelle que soit leur forme, en vue de les remplacer par un code : personne 1, personne 2, etc.”, confie Benjamin Clavié. Pour ce chantier, Jus Mundi suivra sa méthodologie habituelle : développer, éprouver puis valider le modèle en anglais d’abord, avant de le décliner dans d’autres langues.
Vers la création d’un graph juridique
Aux côtés de sa plateforme de data, Jus Mundi a bâti un annuaire référençant 25 000 arbitres internationaux, avocats et autres experts en droit international. En grande partie disponible en libre accès, il réserve là-encore certaines informations clés aux abonnés payants. La première d’entre elles ? La liste complète des affaires traitées par les professionnels, avec l’ensemble des décisions et documents associés. Mieux, la version premium de l’annuaire va jusqu’à identifier les praticiens et organisations pour lesquelles ils travaillent (ou ont travaillé) qui sont intervenus dans les mêmes affaires. Un second moteur de recherche, baptisé Conflict Checker, permet à partir du nom d’un juriste indexé d’accéder à l’ensemble de ses relations. “Nous sommes en train de migrer cette application vers la base de données orientée graph Neo4J”, confie le CTO de la jeune pousse.
Jus Mundi vient tout juste de passer le cap du million de chiffre d’affaires annuel récurrent (ARR). Un revenu multiplié par cinq sur un an. Sans surprise, 90% de l’activité est réalisée à l’étranger, 40% aux Etats-Unis. “67% des plus grands cabinets d’avocats sont américains, et 30% anglais”, rappelle Jean-Rémi de Maistre, co-fondateur et CEO de Jus Mundi, et ancien avocat en droit international. Aux côté de l’Amérique du Nord et de l’Europe, la société commercialise aussi son offre en Amérique Latine et en Asie.
Parmi ses clients, Jus Mundi compte une centaine de cabinets d’avocats, dont les prestigieux Curtis, Dentons, DLA Piper, Eversheds Sutherland ou Freshfields. Mais également des administrations centrales tels le ministère des Affaires étrangères français et le bureau des Affaires étrangères britannique. Sans oublier des universités comme la Cambridge, Harvard ou la Sorbonne.
Une stratégie de diversification
Le marché ciblé par Jus Mundi offre de belles perspectives de croissance. “Les deux tiers des entreprises américaines ou européennes de plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel ont au moins un arbitrage international en cours, et 40% plus de quatre”, estime Jean-Rémi de Maistre. Principal avantage ? Les legaltechs sont pour l’heure très rares sur ce marché.
En vue de conserver son avance, Jus Mundi entend diversifier son offre au-delà de l’arbitrage, et s’étendre au droit du sport, de l’environnement et de la fiscalité internationale. Côté commercial, la société prépare l’ouverture d’un premier bureau à l’étranger. “Il sera basé à New York pour mieux cibler notre marché phare”, confie Jean-Rémi de Maistre.
De 40 salariés aujourd’hui, Jus Mundi compte se hisser à 80 collaborateurs d’ici l’été 2022. La moitié des recrutements rejoindra les forces commerciales, l’autre moitié la R&D avec comme cible des profils de développeur, de data scientist et d’experts en NLP.